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Folklore Normand : La Bête de Caen et les Lubins

Publié le par Olaf le Blanc

Bien qu'il soit riche de contes et de légendes, le Folklore Normand est mal connu. On se rappelle des histoire que nous racontaient nos grands-parents et de quelques personnages imaginaires qu'ils utilisaient pour nous faire peur mais on n'en sait trop peu sur la Bête de Caen ou sur les Lubins. C'est pourquoi nous allons tenter de vulgariser ces mythes typiquement normands. Le mythe le plus connu est sans celui du croquemitaine. Que ce soit le Pé la Pouque ou la Gobette l'ensemble de la Normandie a ses propres contes pour effrayer les enfants turbulents. En effet, lorsqu'il s'agissait de faire en sorte que les enfants soient sages, on n'hésitait pas, par le passé, à leur faire peur. Pour cela, on utilisait la figure du croquemitaine, ce personnage effrayant dont la colère menaçait les enfants qui ne se tenaient pas tranquille. Le plus souvent, ce sont des personnages tout à fait imaginaires qui sont invoqués.
Dans le Pays de Caux on parlait du Père la Pouque (Pé la Pouque). Si les enfants n'étaient pas sages, celui-ci allait les emmener dans sa pouque (un grand sac en jute). Les parents disaient à leurs enfants: "Si t'es pas sâage, eul pé la pouque y va v'ni pis y va t'prindre". À Blangy-le-Château (Calvados), la Gobette vivait au fond des mares et risquait d'attraper les enfants qui s'en approchaient de trop. Dans le canton de Bricquebec (Manche), on parlait de la Bête Havette, dont le nom dérive d'une variété de filet. Elle aussi se cachait dans les fontaines, les puits, les ruisseaux. La légende de la Gobette est assez similaire à celle de la Bête Havette. Les deux créatures attrapaient les enfants imprudents qui s'approchaient trop de leur fontaine, les noyaient puis les dévoraient. Comme on peut le voire, le folklore normand est riche en monstres effrayant dont le plus meurtrier fut la Bête de Caen. 

La Bête de Caen

La forêt de Cinglais, située à environ quinze kilomètres au sud de Caen est au cœur d'une légende. Une bête féroce et anthropophage aurait agressée plusieurs personnes.  On a surnommé cette créature, semblable à un loup, la Bête de Cinglais, la Bête d'Evreux ou encore la Bête de Caen.  Elle aurait fait une trentaine de victimes en un peu plus d’un an. Les attaques sont connues grâce à des articles de journaux. Ainsi, la Gazette du 19 mars 1632 rapporte :

"De Caen en Normandie. Le 10 dudit mois de mars de l’an 1632. Il s’est découvert depuis un mois dans la forêt de Singlaiz entre ci et Falaise une bête sauvage qui a déjà dévoré quinze personnes. Ceux qui ont évité sa dent rapportent que la forme de cet animal farouche est pareille à celle d’un grand dogue d’une telle vitesse qu’il est impossible de l’atteindre à la course, et d’une agilité si extraordinaire qu’ils lui ont vu sauter notre rivière à quelques endroits. Aucuns l’appellent Therende. Les riverains et gardes de la forêt lui ont bien tiré de loin plusieurs coups d’arquebuse, mais sans l’avoir blessé. Car ils n’osent en approcher, même se découvrir jusqu’à ce qu’ils soient attroupés comme ils vont faire au son du tocsin ; à quoi les curés des paroisses circumvoisines ont invité tous les paroissiens à ce jourd’hui, auquel on fait étant qu’il s’assemble trois mille personnes pour lui faire la huée."

Bête sauvage, force surnaturelle, appétit vorace; tous les éléments sont réunis pour faire naître la légende de la Bête de Caen qui aurait fait une trentaine de victime en un peu plus d'un an. Pour faire abattre la bête, une gigantesque battue fut organisée en juin 1633, entre 5 000 et 6 000 hommes y auraient participé. Une bête identifiée par plusieurs témoignages fut tuée et les attaques cessèrent.

La Gazette du 17 juin rapporte la mort de la créature en ces termes :

"Cette bête furieuse dont je vous écrivais l’année passée ayant depuis deux mois dévoré plus de trente personnes dans cette forêt passait pour un sortilège dans la croyance d’un chacun. Mais le Comte de la Suze ayant par ordre de notre lieutenant général assemblé le 21 de ce mois 5 000 à 6 000 personnes, l’a si bien poursuivi qu’au bout de trois jours elle fut tuée d’un coup d’arquebuse. Il se trouve que c’est une sorte de loup plus long, plus roux, la queue plus pointue et la croupe plus large que l’ordinaire."

Animal fantastique ou simple loup? Aujourd'hui encore la légende perdure. Peut-être était-ce un Lubin qui rôdait dans la fôret de Cinglais? Un démon transformé en loup?

Les Lubins 

En Normandie, les loups-garous se nomment «varous», et il est assez curieux de noter que bien souvent le varou n’a de loup que le nom : on trouve des transformations en chien, lièvres, taureaux, chevaux, etc. Mais en loup quasiment jamais. Cet animal semble presque totalement absent du folklore normand.
Presque, car il faut compter sur les lubins, des personnages rares, mais bien connus depuis le début du XIXe siècle. C’est l’érudit de Bayeux Frédéric Pluquet qui nous en donne une première description concernant le Bessin.

"Les Lubins. Ce sont des esprits déguisés en loups qui rodent la nuit, cherchent à entrer dans les cimetières et sons assez peureux. Leur chef est tout noir et plus grand que les autres. Au premier bruit qu’il entend, il se dresse sur ses pattes, se met à hurler et tous s’enfuient. On dit d’un homme timide : Il a peur des Lubins."
Frédéric Pluquet, Essai historique sur la ville de Bayeux et son arrondissement, 1829, Caen, Chalopin, p. 326.

"Les Lubins. Ce sont des fantômes en forme de loups, qui rôdent la nuit, cherchent à entrer dans les cimetières, et du reste sont assez peureux. Leur chef est tout noir et plus grand que les autres. Lorsqu’on s’approche, il se dresse sur ses pattes, se met à hurler, et toute la troupe disparaît en criant: ‘Robert est mort!… Robert est mort!...’"
Frédéric Pluquet, Contes populaires, préjugés, patois, proverbes, noms de lieux, de l'arrondissement de Bayeux, 2e éd., 1834, Rouen, Édouard Frère, p. 14.

On retrouve la croyance en les lubins dans le secteur d’Argentan, et notamment à La Courbe (61).

"Rentrant une nuit de jeter ses filets dans l'Orne, un pêcheur traversait le cimetière, alors sans clôture. Il observa que d’une tombe fraîchement refermée se dégageait une odeur fétide – le roc affleurant ici presque partout, il est en effet impossible d'y creuser des fosses convenables – mais encore des ossements humains étaient épars sur le sol. Et le pêcheur songeait: ‘Vraiment on a bien peu de respect pour les défunts!’ Il allait sortir du cimetière quand il aperçut une bande de chiens cherchant obstinément à pénétrer dans l'asile des morts et semblant se heurter partout à des obstacles infranchissables, même là où la haie manquait. L’homme reconnut bien qu’il était en présence de lubins : toutefois ne voulant pas troubler ces âmes déjà si désolées, il pressa le pas sans paraître les remarquer. Mais les réprouvés l’avaient aperçu, l’un d’eux se levant sur les pattes de derrière poussa un cri lamentable et toute la bande s’évanouit."
Xavier Rousseau, Contribution à l’étude du folklore normand. Mythologie populaire du Pays d’Argentan. 

Xavier Rousseau ajoute également un fait intéressant à propos du cimetière de Heugon. "Il paraît que les lubins hantaient aussi le cimetière de Heugon, témoin ce dicton: ‘Comme les lubins de Heugon, avoir peur de son ombre’."
Xavier Rousseau, Contribution à l’étude du folklore normand. Mythologie populaire du Pays d’Argentan, Le Pays d’Argentan,1953, p. 54.

Que sont les lubins normands?
Ces lubins, qui cherchent à hanter les cimetières afin d’y dévorer les cadavres, semblent assez proche du rongeur d’os, attesté aussi à Bayeux.

"Le Rongeur d’Os. Fantôme sous la forme d’un grand chien, qui rôde dans les rues de Bayeux pendant les longues nuits d’hiver, en rongeant des os et traînant des chaînes. C’est encore un homme transformé ainsi par des sorciers, ou par le diable."
Frédéric Pluquet, Contes populaires, préjugés, patois, proverbes, noms de lieux, de l'arrondissement de Bayeux, 2e éd., 1834, Rouen, Édouard Frère, p. 16-17.

Ce ne sont pas, on l’a dit, des varous. Seul Pluquet indique que ce serait des démons (et non des hommes), changés en loups. Ils vivent en bande, la nuit, fréquentent les cimetières, ils sont peureux et ils ont un chef. Le varou, lui, est le plus souvent considéré comme un sorcier capable de changer de forme (grâce à une certaine graisse), et s’il peut apparaître en bande, ce sera alors à l’occasion d’un sabbat.

 

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